INTERVIEW D’ALAIN DE VULPIAN, LE 22 MAI 2017, PAR ETIENNE COLLIGNON ET SABINE NAKACHE

 

Lorsque la lecture de ses textes précède la rencontre avec Alain de Vulpian, on s’étonne de rencontrer un homme si simplement chaleureux, ancré dans le moment présent, qui semble à l’écoute du monde en permanence et qui le regarde avec des yeux d’enfant, animés de vivacité et toujours prêts à s’émerveiller !

Alain de Vulpian n’est pas un idéologue, il abhorre les dogmes et cette révolte contre l’absence de questionnement et de libre-arbitre joue un rôle dans la construction de sa personnalité.

Il nous a parlé de sa vie, de cette vie qui avance avec tous ses soubresauts, avec optimisme et enthousiasme.

Il nous a parlé de son histoire comme de celle d’un apprentissage constant et qui se poursuit encore grâce à une curiosité infatigable.

Il n’est pas question de quête de sens. La vie est sens pour Alain de Vulpian, que ce soit d’un point de vue biologique, sociologique ou spirituel.

 

Naissance de la personnalité socio-perceptive

Comment est née ma personnalité socio perceptive ? Elle était là dès le départ. Je peux raconter quelques souvenirs très anciens.

J’ai 5 ans. Je vis à la campagne avec mes parents. C’est mon anniversaire et ils viennent de m’offrir ma première bicyclette avec des roues libres. Dans le parc je roule comme un fou. Après 3 jours, je demande à mes parents si je peux aller à Provins (c’est à 2 km). Maman dit « Pas question, il y a des camions… » et Papa : « Laisse le faire, il faut qu’il apprenne à se sortir de situations diversifiées. Il sait où est sa droite…» Là, je me dis : « Ils m’aiment tous les deux mais ils sont différents. Et c’est Papa qui a raison. » En y repensant je vois là un phénomène de socio-perception, pas seulement de psycho-perception.

Autre histoire : je suis à nouveau à la campagne, cette fois en Bretagne, à Lamballe, chez mes grands-parents Vulpian et j’ai 6 ou 7 ans. Mon grand-père se promène dans le parc avec l’un de ses copains et, phénomène rare et qui me rendait fier, il m’emmène promener avec lui. Il me tient par la main et j’écoute leurs conversations. Il dit à son ami : « Ta fille se marie, tu es content ? ». « Oui très content ». « Il est bien ce jeune homme ? » « Oui, oui il est bien, il est inspecteur des finances, mais il travaille ! Il travaille ! » Et moi j’entends donc que ce n’est pas bien de travailler. Mon autre grand-père est directeur d’une compagnie d’assurance, il va à son bureau, je le vois qui part et qui revient ; il travaille, et on trouve cela très bien. Pourquoi y a-t-il un grand-père qui trouve que ce n’est pas bien de travailler et l’autre qui trouve que c’est bien de travailler ? Autrement dit dès la petite enfance j’avais tendance à faire déjà un peu de sociologie. Et à questionner.

La comparaison de mes deux familles m’a appris énormément. Cela m’a rendu perplexe pendant un temps, mais à 10 ans, j’avais tout compris. Dans ma famille paternelle on était très fier de mon arrière-grand-père Alfred, une sommité, et je sentais une gêne : on aimait se glorifier d’Alfred mais on n’en parlait pas trop ; et j’ai fini par comprendre, notamment en fouillant un gros dictionnaire Larousse en 7 volumes ; j’ai découvert que Vulpian avait été condamné par l’évêché parce que matérialiste, que c’était un sale bonhomme, un ami de Proudhon, etc ; et la famille devenue très catholique, suppôt des jésuites, était très fière de l’ancêtre mais cela les gênait un peu ; alors c’était encore une très bonne introduction à la sociologie des milieux.  Donc la socio-perception est là, présente en moi.

 

Trouver sa voie

Très tôt est venue la question de ce que je vais faire dans la vie. J’avais une grande admiration pour mon père ; je le voyais comme un sacré bonhomme : c’était un champion, un excellent cavalier, qui avait participé aux Jeux olympiques de Berlin ; il est mort quand j’avais 10 ans et j’en gardais une image forte. On m’avait mis à cheval à l’âge de 2 ans mais je préférais les motos. Je voulais, j’espérais être à la hauteur de mon père mais je n’aimais pas le cheval. Je suis sans doute fait pour faire quelque chose et pas n’importe quoi mais je ne sais pas quoi. Il a fallu un peu de temps avant que je trouve que c’était un certain type de sociologie.

Et je suis entré à Sciences Po avec l’idée de devenir diplomate. Puis il y a eu un événement décisif la première année, la conférence de méthode de Panouillot ; le premier devoir qu’on nous a demandé était le commentaire d’un livre ; j’ai choisi « Du mariage » de Léon Blum ; j’ai eu 9 sur 20. J’étais un peu vexé. Le deuxième devoir était le suivant : vous choisissez le sujet comme dans le devoir précédent, pas sur un livre mais sur quelque chose qui existe, une entreprise, une bataille, un événement ; vous définissez le sujet et vous écrivez vos 5 ou 10 pages. Je venais de lire « Le tableau politique de la France de l’Ouest », d’André Siegfried qui était l’un de mes professeurs. Un chapitre était consacré aux Côtes du Nord qu’on appelle maintenant les Côtes d’Armor, où ma famille avait une propriété, où j’allais souvent et que je connaissais bien. André Siegfried racontait comment l’Est du département votait à gauche et l’Ouest à droite parce que l’Est est argileux et l’Ouest est calcaire. Il expliquait cela par l’intermédiaire des peuplements, des tailles des exploitations agricoles, des petits propriétaires d’un côté, des hobereaux avec métayers de l’autre ; or j’avais constaté en 1946, c’est à dire l’année même de ce devoir, que le modèle de toutes les années d’avant-guerre s’était inversé aux premières élections qui ont suivi la Libération ; je me suis dit qu’il était intéressant d’essayer de comprendre pourquoi. J’ai fait mon topo là-dessus et j’ai eu 18. Là je me suis dit que c’était peut-être un signe du destin.

Et j’ai compris en relativement peu de temps plein de choses. J’avais l’impression que si je voulais devenir député, et si j’allais poser ma candidature dans le département des Côtes du Nord, je saurais quoi dire pour augmenter mes chances de me faire élire. Je suis allé trouver François Goguel qui était l’autorité qui inventait la sociologie électorale à ce moment-là pour lui dire qu’après ce devoir qui m’avait intéressé je voulais faire une thèse sur ce sujet. Il m’a encouragé, et au cours des deux années suivantes à Sciences Po je n’ai fait que travailler cela, et j’ai eu 18 à nouveau. Là, j’étais totalement décidé : je ferais de la sociologie pour agir. J’ai convaincu à Sciences Po deux ou trois copains et ça s’est fait à peu près tout seul.

J’ai eu une vie simplissime. Il s’est passé ce que j’espérais. Et d’abord trouver tôt ma voie. Lorsque j’ai créé la COFREMCA j’avais 24 ans. Je me suis dit que si j’arrivais à faire quelque chose comme Robert Weinmann, que je réunissais autour de moi une quinzaine de gens brillants pour essayer de marquer une influence et découvrir des aspects utiles de la réalité, alors j’aurais engagé une bonne vie. Au fond, cela s’est fait tout seul. Une bénédiction du ciel, c’est de bien prendre ses aiguillages. Quand je dis du ciel, c’est l’ange gardien, la baraka, Dieu, le chamane, peu importe. Il faut écouter l’impondérable, être socio-perceptif.

 

Lancer son activité avec créativité et passion

Grâce à ce travail de thèse, j’ai compris que les sociétés comme les systèmes humains étaient des systèmes vivants. Je n’avais probablement pas le mot système à disposition parce qu’on était en 1948/1950. J’ai compris qu’on pouvait gratter le système, comprendre certaines de ses dimensions, sa structure, ses modalités de changement, et qu’ainsi apparaissaient des pistes d’actions pour changer la situation de ce système. Avec Jacques Sauerwein, Loïc Bouvard et un ou 2 autres, on s’est aperçus que personne ne faisait cette sociologie là en France ; on a eu envie de créer une équipe. Notre idée était d’aider des partis politiques, des gouvernements ; on ne pensait pas tellement aux entreprises qui ont en fait été nos meilleurs clients, les plus accessibles, dès qu’on s’est lancés.

En sortant de Sciences Po il fallait que je gagne ma vie tout de suite ; un ou deux copains sont partis faire des études à l’étranger. Moi j’ai pris un job de journaliste. En commençant par une étude et une interview sur la famille et les amis. J’ai un peu systématisé les observations faites en me promenant dans le parc avec mon grand-père et son copain. J’ai interviewé mes cousins, mes grands-parents, mes amis. Là j’ai très vite compris que la société bourgeoise évoluait à grande vitesse. Il y avait des changements de valeurs considérables.

En 1952 on a décidé avec 2 collègues d’aller passer un an en Suède qui nous paraissait le plus grand laboratoire de la modernité ; on avait pris conscience qu’il y avait un grand déplacement qui était en train de se faire, une modernité de nos sociétés et qu’il fallait la comprendre. Il y avait deux régions avancées à ce moment-là : la Suède et la Californie. Jacques Sauerwein, Marc Ulmann et moi sommes allés passer 2 fois 6 mois en Suède, interviewer les Suédois, un premier séjour de 6 mois avec Jacques Sauerwein, où on interviewait les Suédois de tous bords ; c’est un pays différent qui vivait la modernité avec beaucoup d’intensité. Nous faisions des articles pour des journaux français. Et j’ai trouvé aussi un job pour la radio suédoise. C’était passionnant. Puis je suis revenu 6 mois en sachant ce que nous voulions observer et j’ai rencontré, à la suggestion du père de Sohervain, Robert Weinmann, le patron de la COFROR – Compagnie Française d’organisation – qui était le plus grand cabinet de management consulting – il y avait 25 ingénieurs ! Ce n’est pas comme aujourd’hui où il y en a des milliers. Je suis allé lui raconter notre histoire et lui dire qu’on voulait créer un groupe qui ferait des recherches sur l’évolution des mentalités des gens, leurs interactions, et comment cela fait système et comment cela indique des pistes d’évolution sage, pas sage, porteuse, etc. Au bout de deux heures avec lui, il a dit, « Je vous aide à démarrer cela quand vous voulez ». Manifestement c’était sa façon spontanée de travailler. Et au retour du deuxième voyage en Suède, nous avons démarré. Il a tout de suite apporté les clients.

Lancer une boîte dans un métier qui n’existait pas, cela demandait de convaincre des patrons, des directeurs généraux ; à 23 ans, ce n’est pas évident. C’est merveilleux de rencontrer quelqu’un comme Weinmann qui nous dit « C’est formidable votre idée, je pense qu’elle est bonne. Je vous facilite votre démarrage et je vous apporte des clients ». Il m’a présenté le Président d’Air France, le Directeur commercial de la SNCF… Il m’a rendu un service inestimable. Il ne m’a rien appris mais il avait une intuition phénoménale qu’il n’intellectualisait pas ; nous lui avons apporté un substrat intellectuel.

En 1954 nous avons créé ce qui s’est d’abord appelé le BPSA, Bureau de Psychologie et de Sociologie Appliquée ; ce nom nous est vite apparu comme trop savant. On s’est aperçus en cours de route que nos meilleurs clients c’étaient les entreprises, parce que les patrons d’entreprises ne savaient pas comment fonctionnait le monde, alors que les politiques pensaient tout savoir. Il y avait eu la guerre, ce n’était pas comme avant. Et on a tout de suite eu comme clients Air France, la SNCF, Renault et des entreprises de taille moyenne, privées. Ça a démarré très facilement.

Je n’ai pas eu vraiment des phases très différentes dans ma vie. C’était important de prendre sa retraite. J’ai énormément travaillé pendant des années, il fallait vivre la COFREMCA, nous avons eu jusqu’à 300 salariés à une époque ; le carnet de commande était une préoccupation, j’en étais responsable mais j’étais quand même un chercheur de terrain, ce que je suis toujours resté, sans quoi j’aurais été malheureux. Lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai continué à faire la même chose ; au lieu d’écrire des rapports, j’ai écrit des livres et au lieu de travailler douze heures par jour, c’est devenu huit heures en dormant mieux car je n’avais plus le carnet de commande.

Ainsi je n’ai jamais fait qu’une chose dans ma vie au fond, et cela m’a passionné, et c’est toujours ainsi aujourd’hui.

 

Les inspirateurs

J’aurais pu aussi évoquer des livres. Après la sociologie électorale, un autre cours à Sciences Po a eu une grande influence intellectuelle sur moi, c’est le cours d’André Amar. Il m’a notamment fait découvrir Oswald Spengler (Le Déclin de l’Occident). A l’examen d’André Amar, j’ai eu 18 aussi. Je réalise que les « 18 » ont été des signaux !

Une autre influence intellectuelle forte a été Carl Rogers. C’est même plus que cela, c’est une mécanique mentale qui transforme la personne dans ses profondeurs. Une marche énorme c’est l’interview non directive Rogers. Pour beaucoup de gens, la vraie découverte de Rogers a provoqué un changement de vie car on ne voit plus les choses de la même façon ; or en 1954 Rogers était à la mode dans les milieux de pointe. Il est même passé à Paris deux fois ; et à la COFREMCA débutante on a pratiqué l’Interview non directive. On a fait des sessions de formation rogérienne de 5 jours d’affilée pour former nos interviewers. On a poussé très loin la méthode Rogers et d’autres pratiques pour faire apparaître différents pas du vécu des personnes. C’était passionnant et indispensable car dans les années 50 les gens étaient terriblement fermés à eux-mêmes.

Il y a aussi David Riesman qui a publié en 1950 The Lonely Crowd. Je l’ai eu entre les mains l’année de sa sortie, alors qu’il est paru en France quinze ans plus tard avec une préface d’Edgar Morin.

J’ai eu la chance d’être très branché sur la sociologie germano-américaine, notamment celle des Juifs allemands et autrichiens arrivés aux Etats-Unis à la fin des années 30. Ils ont développé des recherches totalement inconnues en France qui en était plus ou moins allergique. J’ai passé six mois comme assistant de Jean Stoetzel. Les sondages, c’est utile mais cela n’a rien de fondamental. Le fait que très tôt nous étions en relation avec des sociologies étrangères a certainement été très fécond.

Je suis un organisme vivant. Nous, la France, on est un organisme vivant. La civilisation européenne est un organisme vivant. Homo sapiens, l’espèce humaine est un organisme vivant. Les règles et les perspectives qui concernent les organismes vivants sont applicables à tous ces niveaux. Dans ce cadre de la métamorphose, il y a deux influences très fortes, celle de Prigogine qui a eu son Prix Nobel en 1977 et qui a heureusement écrit des livres en collaboration avec une philosophe, ce qui fait qu’il est compréhensible des non-scientifiques. Ce qu’il dit sur les systèmes dissipatifs est fondamental pour comprendre les systèmes vivants.

Le deuxième qui m’a beaucoup influencé est Francisco Varela que j’ai connu grâce à Shell et qui a beaucoup nourri SOL. Il travaillait avec Pierre Wack, à l’époque où Shell était une entreprise rayonnante d’intelligence. Pierre Wack était Strategic Planner de Shell en 1950. Il a été génial. Arie de Geus a été son successeur. Nous avons beaucoup travaillé ensemble. C’est ce qui m’a rapproché d’Irène Dupoux-Couturier qui a travaillé avec Shell après moi.

Il y a un mot très important qui manque, celui de Jung : les synchronicités.

 

L’engagement pour la transformation de la société

Le passage à la militance est venu très tôt. Dans mes études, la discipline qui m’intéressait le plus c’est l’histoire. Pas tellement comme on l’enseignait à l’époque mais plus comme on l’enseignait à Sciences Po : Qu’est-ce qu’il aurait pu se passer, qu’est-ce qu’on aurait pu faire pour que le nazisme ne s’installe pas en Allemagne. Qu’est-ce qu’on aurait pu faire pour que la guerre de 14 n’éclate point ?  En 1950 on sort d’une phase de l’histoire européenne effroyable, dégueulasse ; vers quoi on va et où risque-t-on de prendre le mauvais aiguillage ? 1948, où est-ce qu’on va, est-ce qu’on va vers l’européanisation ? Est-ce qu’on va vers le communisme ? Est-ce qu’on va vers Tito ? Je suis même allé en Yougoslavie voir comment on fonctionnait sous Tito. C’est de la sociologie pour prendre de bonnes directions.

Il y a un côté militant : si je vais travailler vers Air France, c’est pour leur dire qu’ils se trompent à tel ou tel endroit, que leur communication est mal foutue, que si vraiment ils veulent se développer, il faut qu’ils fassent ceci ou cela. Et j’essaye de les convaincre. C’est comme cela qu’on a travaillé dès le début. La militance est là à partir du moment où on est convaincus des bonnes voies, de celles qui sont vitales, celles qui donnent un avenir positif, pour les trouver et les favoriser. Et il en a été ainsi toute ma vie ; pour que je sois bien il faut qu’il y ait les deux, le plaisir formidable de comprendre les éléments essentiels d’un système et l’idée qu’on trouve de bonnes directions, celles qui sont humanisantes, celles qui sont épanouissantes, celles qui sont enrichissantes, pour son client.

La politique m’a toujours occupé l’esprit. Quand j’étais à Sciences PO, je savais que je n’étais pas communiste soviétique (ils me rappelaient un peu les Nazis), je n’avais pas de sympathie pour le PS, je n’avais pas de sympathie pour le MRP.

J’ai été réellement intéressé –pendant peut-être deux ans- par Tito. J’ai été en Yougoslavie, j’ai même été sous-commandant d’une brigade de travail en Yougoslavie à l’âge de 17 ans. J’ai eu de l’admiration pour Mendès-France et j’ai adhéré au Parti Républicain Radical et tout naturellement au PSU. Pas mal de gens du PSU, comme Michel Rocard, sont passés au PS mais moi non et il ne m’a jamais convaincu de le faire.

En 1958, il y a eu l’effondrement de la IV° République, le problème de l’Algérie… Des anciens de la France Libre ont créé le Club Jean Moulin parce qu’ils craignaient de voir une amorce de fascisme dans la politique de De Gaulle. Par hasard, j’ai été dans les 25 premiers membres. Nous étions des intellectuels, des fonctionnaires qui avaient envie de réfléchir à la rénovation de la République. Nous avons fait beaucoup de choses et cela a nourri l’aspect militant de ma personnalité et je m’y suis fait beaucoup d’amis.

Les amis ont toujours beaucoup compté pour moi : les amis d’enfance, les amis de Sciences Po, les amis du Club Jean Moulin, les amis de SOL. La rencontre de SOL a été importante pour moi et s’est bien insérée dans ma vie.

 

L’ancrage spirituel.

Une des marches qui m’ont fait grandir c’est le rejet du christianisme. J’étais élevé dans une famille dont une partie était très chrétienne, en tout cas socialement chrétienne. Tout jeune enfant quand on a essayé de me mettre chez les bonnes sœurs ou les curés j’ai trouvé cela insupportable, le contraire de mon Papa qui regardait ce que je faisais et qui m‘encourageait ; ce qui fait qu’à l’âge de 13 ans un dimanche matin alors que ma famille m’appelait pour aller à la messe dans le village, j’ai dit non, je ne viendrais pas et je ne viendrais plus jamais. Ça a fait un petit scandale, puis ça s’est tassé.

Il y a du spirituel en moi, mais dans un sens un peu particulier. Le spirituel est déjà dans mes histoires : j’ai fait ce devoir sur les Côtes du nord, j’ai eu 18, c’est un message. C’est mon côté spirituel.

Je suis à l’écoute des forces profondes, sans savoir bien les nommer, j’ai toujours porté la plus grande attention aux coïncidences, aux idées qui vous viennent en pratiquant certains exercices physiques. J’ai très tôt et toute ma vie – mais pas au cours des 5 dernières années je n’en étais plus capable ! – pratiqué le yoga. Je ne crois pas du tout en Dieu mais il y a des pans de la réalité qui nous échappent. J’ai pris plaisir à lire le dernier livre du philosophe-sociologue Edgar Morin sur la connaissance et le mystère. La dimension spirituelle est pour moi très importante. Je voudrais mieux la comprendre du reste, c’est peut-être le dernier champ auquel je m’intéresserai.

Le spirituel, j’aimerais avoir un meilleur mot que « spirituel » qui me gêne beaucoup. Il est complètement là dès les origines de l’homo sapiens, même probablement chez le Neandertal qui enterre déjà ses morts avec certains rites. Car si on enterre ainsi les morts c’est qu’on a déjà une certaine communication avec un au-delà. Donc on est dans ce que je considère comme le domaine spirituel. On est encore dans le domaine spirituel quand des peuplades inventent des mythes et quand les civilisation inventent des religions et il n’est pas douteux que la prière ou la méditation ont des influences ; il n’est pas douteux que dans certains contextes on arrive à avoir des prémonitions de l’avenir ; il n’est pas douteux qu’il y a des communications de cerveau à cerveau au-delà des neurones miroir,  Il y a un énorme pan au-delà de – entre guillemets – la réalité qui m’intéresse énormément qui a toujours fait partie de ma vie ; et je pense, j’espère qu’au cours de ce vingt-et-unième siècle où nous connaissons une interpénétration jusqu’à présent jamais vue par son ampleur, sa profondeur entre le cerveau rationnel et le cerveau spirituel, on va gagner en compréhension.

Le domaine spirituel est important pour moi, dans un sens un peu particulier. Une des thèses de Morin est qu’avant le Big Bang il y a un vide qui n’est pas vide, qu’il y a le Big Bang, que le big bang émerge de ce vide qui n’est pas vide, débouche sur un univers qui est je ne sais plus trop quoi d’où va émerger l’univers quantique, d’où émerge notre univers qui a un espace et du temps et quand on est dans un univers spatio-temporel, on a de temps en temps des petites communications avec l’univers quantique. C’est une jolie thèse.

Je viens d’une posture de recherche plus qu’une posture de croyance. Il y a eu des conflits, des combats, des concurrences… La parade, c’est la méditation. Très jeune, c’était marcher dans la campagne, la nuit, longtemps, jusqu’à ce qu’apparaisse la certitude. Plus tard dans ma vie, je vivais dans une maison à la campagne ; lorsqu’il y avait un problème à traiter, dans la nuit, je faisais un certain parcours dans le parc, toujours le même et dans le même sens.

Je viens d’entrer dans une envie de faire une nouvelle petite recherche sur des histoires de vie dans une perspective un peu particulière. J’essaye d’inciter des interlocuteurs à me raconter l’histoire de leur vie du point de vue de l’esprit, de Dieu, des chamanes, dans l’idée de compléter le chapitre Esprit de la métamorphose dans mon bouquin que je trouve intéressant mais insuffisant et s’arrêtant en chemin.